top of page

Outils 

Cartographie habitée

Si le répertoire scientifique représente une approche de « la » Champagne entité par entité, la « cartographie habitée » permet de souligner la manière dont le territoire en tant qu’« ensemble » est construit par l’interaction constante entre les différentes composantes qui le constituent (à l’image de super-organismes tels que les siphonophores[1]). Ces cartes, inspirées de la méthode développée dans l'ouvrage Terra Forma[2], abordent différents « paramètres » (paysages vivants, frontières, sol, espace-temps, mémoire, ressources), qui rendent compte de ce développement en profondeur et en étendue non seulement  spatiales mais aussi temporelles.
Nous envisageons cette production comme un outil permettant à la fois d’obtenir facilement des informations ciblées mais aussi de voguer de situation en situation au gré de sa curiosité, d’introduire « dans le savoir la dimension sensible, le divers, le caractère lacunaire de chaque image, le multiple, l’hybridité de tout montage » afin de « percevoir les rapports intimes et secrets des choses, la correspondances ou les analogies »
[3]
Le cadrage sélectionné ici correspond à celui d’un des échantillons que nous avons arpentés lors de nos investigations de terrain. Le choix d’investir un périmètre communal (plus précisément, le petit village de Villevenard, situé à la fin de la Côte des Blancs, à la limite des plaines agricoles) paraît intéressant dans le cadre de cet exercice (bien que nous le questionnerons dans la suite de ce travail), puisqu’il permet d’explorer de manière plus spécifique les dynamiques d’interdépendance entre différents ensembles (« biotopes ») très localement ancrés mais également sensibles (voire vulnérables) à des influences plus ou moins lointaines. 

​

Sol 

Avec l’anthropocène, l’homme est devenu une force majeure qui exploite et façonne la terre,  jusque dans ses profondeurs, transformant celle-ci en une vaste « machine » sur-productive. La carte « sol » vise à mettre en lumière ce phénomène pour rendre visible la terre comme « palimpseste », où l’extension de l’action humaine (présente comme passée) est lisible verticalement jusque dans les strates géologiques les plus enfouies.
Pour ce faire, un changement de référentiel s’impose : nous nous émancipons ici d’une représentation régie par le magnétisme des points cardinaux et le découpage en propriétés cadastrales rendant peu justice aux multiples reconfigurations du parcellaire, témoins des conflits sociaux-économiques liés à l’appropriation des terres. Ce faisant, nous replaçons le sol et son épaisseur spatio-temporelle au centre de notre analyse, pour mieux révéler les dynamiques d’interdépendances inter-espèces et la porosité inter-milieux qui transcendent largement de simples délimitations administratives. 

 

Paysages vivants 

La carte « paysages vivants » vise à identifier la manière dont les points de vie façonnent par leurs trajectoires et leurs empreintes spatio-temporelles un paysage aux délimitations relatives et, surtout, mouvantes. Cette approche prend le contrepied des modèles de représentation satellite aujourd’hui largement dominants, ceux-ci offrant certes un degré de précision particulièrement remarquable par vue aérienne mais accordant peu de place non seulement aux êtres qui voguent sur les fragments de territoires analysés, mais aussi au « hors-champ » et aux phénomènes de croisements et d’interdépendance sortant du prisme de la proximité pure (« local »). Le « paysage vivant », par opposition à un paysage mort parce que dépeuplé de ses « hôtes », apparait ainsi par la superposition des « terrains d’habitude », dont l’articulation dynamique d’échelles contredit l’approche d’un territoire stable découpé en périmètres.

​

Frontières 

Le territoire champenois est marqué par une scission violente entre paysage viticole (coteaux) d’un côté et paysage agricole (plaines) de l’autre, que seules quelques poches bâties plus ou moins denses viennent ponctuer. La carte « frontières » vise à analyser la manière dont une répartition territoriale aussi fragmentée engendre des fractures d’ordre non seulement visuel, mais également social et économique, qui s’articulent à différentes échelles (débordement des périmètres communaux, structuration en fractale). 
Elle tend également à interroger la manière dont ces ruptures se voient sans cesse re-dessinées par des superpositions d’ensembles hétéroclites (zonages administratifs vs. « terrains d’habitude » du vivant), laissant supposer qu’elles puissent aussi jouer un rôle d’interface permettant de repenser les dispositifs et processus d’interaction entre les grandes entités paysagères et les espèces qui y évoluent.

 

Espace-temps
En donnant simultanément à voir l’espace et le temps, cette carte participe à une compréhension chronotopique du territoire. Qui se trouve là, pour quelle raison et pour quelle durée ? Est-ce que les différentes espèces, humaines et non-humaines, cohabitent simultanément ou est-ce qu’elles se croisent, s’évitent voire se chassent ? Cette approche invite à considérer nos lieux de vie non pas comme des réceptacles dédiés à une seule activité (généralement humaine) mais comme des milieux fluctuants voire évolutifs, dont la juxtaposition forme une « partition polyphonique »
[4]. À l’image d’un électrocardiogramme, cette carte permet ainsi de mesurer l’intensité des « vibrations » produites par les points de vie et d’identifier ainsi les « phrasés » (temps forts et pauses, points d’orgue, harmonies, basses fréquences, etc.) qui rythment la vie du territoire.

 

Mémoire

Comme précisé dans le répertoire scientifique (« matière habitée »), nos milieux sont marqués par la présence de « signaux » signifiants, dont l’état actuel (niveau d’entropie, évolutions morphologiques, etc.) ne donne néanmoins pas toujours à voir ce que ceux-ci représentent en termes de construction territoriale. La lecture que nous faisons des entités paysagères ou des objets bâtis qui nous entourent ne correspond en effet pas toujours aux enjeux historiques, mais aussi culturels voire identitaires auxquels ils renvoient réellement.  De fait et comme le défend le philosophe Sébastien Marot, « même si l’ensemble d’un site a l’air jeune parce que principalement construit durant les trois dernières décennies, la lecture (…) de toutes ses transformations successives, de ses grandes figures géographiques, de ses innombrables éléments de patrimoine lui donne une profondeur insoupçonnée qui correspond à des histoires qui aident à en comprendre la configuration actuelle et la complexité sociale »[5]. La carte « mémoire » s’attache donc à rendre justice à une lecture du territoire en palimpseste, dans l’optique de mettre en lumière le caractère « habité » de ces entités plutôt que d’en proposer une approche purement historicisante. 

Ressources

Les cartes « ressources » interrogent la manière dont l’homme compose avec les « éléments de pré-existence »  (topographie, hydrographie, climat, gisements, etc.) qui constituent son « environnement » ainsi que l’impact de ses choix de gestion (qui s’apparentent la plupart du temps à des stratégies de contrôle) sur le paysage (vivant, visuel, vécu). Cet exercice, qui s’inscrit évidemment dans les débats sur l’opposition nature-culture, nous parait indispensable à la compréhension des enjeux économiques mais aussi politiques qui guident les choix d’aménagement territorial et qui peinent souvent à intégrer de manière réellement inclusive les problématiques écologiques.

 

[1] Animal des profondeurs marines, le siphonophore est un organisme constitué de nombreux individus (appelés « zoïdes ») reliées par un « stolon » (sorte de cordon ombilical) chacun ayant une spécialité (chasse, reproduction, digestion, flottabilité, défense, etc.) permettant à l’ensemble de fonctionner. Ces animaux, en constante évolution, peuvent atteindre jusqu’à une centaine de mètres de long. 

[2] AIT-TOUATI Frédérique, ARENES Alexandra, GREGOIRE Axelle, Terra Forma – Manuel de cartographies potentielles, éd. B42, 2019, 191p. 

[3] DIDI-HUBERMAN Georges, « L’inépuisable, ou la connaissance par l’imagination ». 

[4] AIT-TOUATI F., ARENES A., GREGOIRE A., op. cit., p.56.  

[5] Citation de Frédérique Bonnet à propos du travail de Sébastien Marot, in  « Aménager les territoires ruraux et périurbains », rapport remis à Sylvia PINEL, ministre du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité, le jeudi 7 janvier 2016, p.18. 

Type de carte 

Frontières 

Clés de lecture

La carte est divisée par quartiers qui représentent les différents lieux de l’échantillon analysé. Ces quartiers sont proportionnés selon la superficie qu’ils occupent par rapport à la superficie totale (échelle de la commune). Deux autres cercles sont placés autour de la cible intérieure. Ils constituent les échelles plus larges : celle de l’intercommunalité et de la région. De ce fait, plus on se dirige vers l’extérieur du cercle, plus on se situe loin de l’échantillon de départ. Il s’agit d’une lecture par imbrications d’échelles.

frontieres.gif
bottom of page