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Diagnostic 

D'un territoire exploité et délimité à un « terreau » habité et dynamique ?

1. Prendre conscience de l’existence de risques larvés

A. Fractures territoriales : une relation homme-environnement bilatérale
L’analyse de la structuration du territoire champenois (occupation des sols actuelle et passée, frontières, flux, temporalité, gestion des ressources, etc…), notamment par l’étude détaillée d’échantillons situés (périmètres communaux), y révèle la prédominance d’une relation bilatérale de l’homme à son milieu. Celle-ci n’est évidemment pas sans faire écho aux débats philosophiques sur l’opposition nature-culture, dans la mesure où elle se caractérise soit par un rapport d’appropriation de « ressources » (extraction et / ou transformation des « éléments de pré-existence » du territoire en « potentiels » matériels pour assurer les conditions pratiques de la subsistance et du développement humains), soit de sanctuarisation de la « nature sauvage » (fantasme de la wilderness).

Nous reviendrons ci-dessous plus en détail sur la manière dont ce phénomène se manifeste concrètement, en essayant d’identifier les modèles d’aménagement qu’il engendre. Cette étape nous parait importante dans une optique de clarification des concepts et des termes manipulés dans ce travail.

 

Rapport d’appropriation : « ventouses » extractives et « zones fantômes »
En Champagne, les deux systèmes productifs les plus marquants sont évidemment la viticulture et l’agriculture. Ces deux « monstres » ne reposent pourtant pas exactement sur les mêmes mécanismes et, surtout, n’impliquent pas les mêmes retombées pour le territoire, que ce soit en terme d’occupation géographique que de valorisation économique et sociale.
D’un côté, la viticulture incarne encore aujourd’hui l’idée d’une « sur-dépendance » au milieu : la notion de « terroir » (entendue ici comme la conjugaison entre une nature de sol et climat particuliers), renforcée par la hiérarchisation par crus de l’AOC, y est primordiale. Elle conditionne l’implantation des vignes sur et autour des coteaux et entraine donc l’annexion de ces derniers par un modèle exclusif d’extraction et de production (monoculture) qui génère des dynamiques de spéculation foncière particulièrement marquées (aire d’AOC). 
De l’autre côté, l’agriculture représente plutôt la victoire de l’homme sur son environnement : historiquement  infertiles en raison de la nature de leur sol (craie affleurante, pauvreté nutritive par manque d’humus), les plaines de ce que l’on a longtemps appelé la « Champagne pouilleuse » ne sont devenues réellement productives qu’au moment de la « révolution verte » (milieu du XXe), avec l’émergence de la pétrochimie et de la mécanisation. Devenu l’une des plus vastes régions agricoles de France et d’Europe avec des rendements particulièrement élevés, le bassin champenois s’est donc extrait d’une « condition naturelle » peu favorable (comme en témoignent plusieurs essais peu fructueux de rentabilisation du territoire, par exemple la plantation sous Napoléon III de pins noirs d’Autriche, exploitation dont il ne reste aujourd’hui pour preuve que quelques camps militaires disséminés sur le territoire) par une « fécondation artificielle », fruit de l’action de l’homme. 

Il faut bien sûr nuancer le fossé qui sépare ces deux modèles d’extraction, les intrants chimiques ayant joué une part tout aussi importante dans le développement et la viabilisation économique de la viticulture au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, l’écart conceptuel entre le « terroir » et le « terreau » (ici, un réceptacle indéterminé et indifférent) reste marquant et transparait jusque dans la valorisation des marchandises issues de ces deux modèles de production. La viticulture engendre en effet un produit dont l’image de marque repose sur l’argument d’une relation exclusive avec son territoire d’élaboration (le champagne serait la matérialisation directe du terroir), quand la production agricole est commercialisée « anonymement », les volumes et le rendement (en tant que potentiels de transformation) prenant le pas sur la qualité et les spécificités de la matière première.

Malgré ces distinctions, la viticulture et l’agriculture relèvent d’un modèle d’aménagement similaire que nous qualifierons de « ventouse »
[1], l’emploi de ce terme soulignant la manière dont certains sites sont placés « sous cloche » dans le but d’en maximiser le rendement. Sur notre territoire d’investigation, cette dénomination parait adéquate : elle fait directement écho à la façon dont certaines zones se voient entièrement dédiées à la mise en place de systèmes productifs spécifiques excluant généralement toute autre forme d’usages. Si l’on prend l’exemple de la viticulture, on voit que la spéculation foncière suscitée par la valeur économique du champagne entraîne une rentabilisation maximale des surfaces comprises dans l’aire d’AOC (celle-ci est aujourd’hui entièrement plantée) par la monoculture. De la même manière, la structuration des plaines agricoles traduit directement la priorité donnée aux impératifs productifs sur les problématiques d’aménagement (larges parcelles rectilignes favorisant le labour desservies par des axes linéaires majoritairement empruntés par des camions de transport / d’acheminement). 

Le modèle des « ventouses » a un impact direct sur le paysage, puisqu’il dessine des unités très marquées (« mers de vignes », patchwork infini de champs) et donc des fractures paysagères particulièrement frappantes. 

Phénomène de dévitalisation : « zones fantômes »

Le modèle de la ventouse donne par ailleurs lieu à l’émergence de « zones fantômes », lieux « non comptabilisé[e]s dans le bilan d’espace consacré aux ventouses, qui en doublent souvent la surface »[2], autrement dit mobilisation supplémentaire de terres pour alimenter les rouages productifs. L’existence d’infrastructures et d’aménagements dédiés n’est en elle-même pas problématique, mais les formes que ceux-ci revêtissent sur le territoire le deviennent au regard d’enjeux comme ceux de la dévitalisation des centre-bourgs ruraux et de la multiplication de complexes génériques tels que les zones industrielles ou les grands centres commerciaux (« non-lieux »[3]). On assiste en effet en Champagne (comme dans bien d’autres territoires) à la disparition des activités rurales favorisant les formes de sociabilité et de coopération entre acteurs locaux et donc à la prépondérance de l’image productive du territoire par l’appauvrissement d’usages connexes. Si l’on prend l’exemple des villages situés dans l’aire d’AOC, on s’aperçoit que dans la plupart des cas, ceux-ci se caractérisent par une sur-représentation de bâtiments à usage viti-vinicole (dont certains, comme le pressoir ou le vendangeoir, ne sont par ailleurs utilisés que très ponctuellement dans l’année) mais par une très faible offre en terme de services, de commerces et de logements (malgré un taux de vacance généralement élevé). Dans les plaines, les communes sont particulièrement éparpillées et se caractérisent souvent par une morphologie de « village-route » que l’on traverse sans s’arrêter ; hormis ces rares installations peu signifiantes, les seuls éléments qui viennent rompre avec la « platitude » paysagère sont des infrastructures agricoles (silos), industrielles (usines) et énergétiques (éoliennes, méthaniseurs), dont on connait le peu de popularité. De manière générale (et à l’exception du champagne dont nous ne nierons bien sûr pas la puissance évocatrice), le territoire champenois offre donc peu de potentiels de projection, à la fois pour ses habitants et ses visiteurs. Comme le souligne ainsi le philosophe Sébastien Marot, « le résultat le plus patent de ces reconfigurations - quel que soit par ailleurs le confort spatial qu’elles offrent aux personnes qui les ont motivées - est que leurs habitants ou ceux qui les fréquentent parviennent de plus en plus difficilement a y spatialiser leurs pensées, leur songes et leurs émotions »[4]. L’espace anthropisé devient donc paradoxalement un endroit où l’humain (que ce soit en tant qu’individu ou en tant que groupe) trouve de plus en plus difficilement sa place…  

 

Rapport de sanctuarisation : « cloches » protectrices 

En parallèle de ce modèle d’aménagement territorial s’inscrivant dans un rapport d’exploitation des milieux par la création de zonages fonctionnels, on observe une tendance inverse consistant à protéger certains espaces de l’action de l’homme par la mise en place de « sanctuaires » inviolables. Ceux-ci visent à protéger certaines « entités naturelles » (écosystèmes spécifiques) considérées comme indispensables à l’équilibre écologique de notre environnement (au sens large du terme, c’est-à-dire à la fois « local » - milieu - et « global » - planète). Concrètement, ce système se manifeste par la mise en place de périmètres protégés  définissant un ensemble de contraintes d’interaction (différents niveaux d’interdictions et de limitations selon l’intérêt de l’éco-système ou sa vulnérabilité), gérés par des institutions d’envergure diverses (Parcs naturels régionaux, Office national des forêts, Réserves naturelles de France, réseau Natura 2000, classements UNESCO, etc.).
Le modèle de la sanctuarisation repose en effet sur le concept de « services éco-systémiques »
 rendus par les humains au « monde des non-humains »[5], consistant à compenser les préjudices de nos actions sur les milieux naturels par des contreparties écologiques (disparaitre de certains milieux pour permettre à d’autres vies de s’épanouir). Si cette politique de préservation du vivant est bien sûr louable (et nécessaire), elle pose néanmoins problème conceptuellement, pour plusieurs raisons. 
D’abord, parce que cette approche permet d’une certaine manière à l’homme de se dédouaner de son impact sur l’environnement par l’équilibrage de ses interventions sur le territoire. Ce modèle de la « balance » tend à renforcer le fossé entre nature et culture : le monde anthropique est placé d’un côté, celui des « non-humains » de l’autre. La relation qui lie ces deux ensembles parait alors ne pouvoir se résumer qu’à celle de « services » que l’on pourrait mesurer, la pesée prenant la forme d’un contrat synallagmatique biaisé puisque l’une des parties l’impose à l’autre… Cette conception est fortement ancrée aujourd’hui : en témoigne l’émerveillement de l’opinion publique sur le retour de la biodiversité partout dans le monde (et notamment dans les espaces urbains) avec le confinement dû à la crise sanitaire du Covid-19, qui a même poussé certains à revendiquer un « lockdown » annuel pour permettre à la nature de respirer… Au delà des fondements incertains d’un tel raisonnement (la biodiversité est-elle vraiment ré-apparue, ou les humains ont-ils tout simplement pris le temps de la voir ?), celui-ci renforce l’idée que l’homme ne puisse s’inscrire que dans un rapport de domination avec la nature, au détriment de la recherche d’autres modes d’interaction plus viables sur le long terme… 
Une telle revendication est par ailleurs dangereuse, puisqu’elle repose sur une vue de l’esprit : au delà du fait que la balance ne puisse être réellement équilibrée (on détruit en réalité toujours plus que l’on ne protège), les « cloches » créées par les périmètres de préservation ne sont évidemment pas tangibles et, de ce fait, peu hermétiques… Même protégés, les milieux restent donc vulnérables face aux actions menées par l’humain, que ce soit à leur périphérie ou à distance. Par ailleurs, vouloir figer le « vivant » au sein d’un espace restreint et clairement défini relève d’un paradoxe, puisque-celui-ci se caractérise par des flux continus (migrations, reproduction, recherche de nourriture, etc.) et une interaction constante avec « l’en-dehors » (« frontières » territoriales animales mouvantes et relatives)… 

Cette catégorisation en « zonages fonctionnels », si elle fait largement écho aux politiques d’aménagement mises en place dans les années 60 avec la décentralisation, est bien sûr à nuancer : même en Champagne, où l’on observe pourtant des fractures marquantes signalant la division intra et inter unités territoriales (productives, « écologiques »), les articulations ne sont pas systématiquement aussi figées. Si l’on s’intéresse au cas du vignoble, par exemple, on remarque que celui-ci témoigne certes d’impératifs productifs dominants, mais qu’il est également traversé par des problématiques d’identité (univers viticole comme fierté locale et héritage ancré), de qualité paysagère et architecturale (mise en valeur d’un ensemble pittoresque et traditionnel) et d’attractivité (oeno-tourisme), se manifestant notamment au travers de son classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. La ventouse viticole devient alors paradoxalement également un sanctuaire du « vivant », celui-ci prenant la forme non pas d’un écosystème « naturel », mais d’un modèle d’interaction constante entre l’homme (le vigneron), son milieu (la vigne, le « terroir ») et les « espèces compagnes »
[6] (alliées comme concurrentes) qui y évoluent. 

Une telle nuance reste néanmoins relativement anecdotique : non seulement parce qu’elle ne constitue aujourd’hui pas une tendance suffisamment forte pour contrebalancer les dynamiques d’exploitation, mais surtout parce qu’elle contribue également à renforcer à plus large échelle les fractures territoriales, notamment par la création de phénomènes de hiérarchisation entre zones valorisées (le vignoble) et zones délaissées voire tributaires de ces dernières (les plaines agricoles). 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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B. Dynamiques d’interdépendance : le « périmètre » mis à mal 
Quoiqu’il en soit, l’identification de cette dynamique croisée d’exploitation et de sanctuarisation révèle l’existence de phénomènes d’interdépendance fortement ancrés sur le territoire. Ceux-ci se manifestent de différentes manières : 
- concrètement, par la structuration humaine autour d’éléments de « pré-existence » assurant subsistance et, plus largement, développement, mais entraînant des « dommages collatéraux » sur les autres êtres avec lesquels nous partagerons le monde, par effets de réaction en chaîne ou de perméabilité inter-milieux (diffusion des intrants, artificialisation des sols, entrave des flux, etc.) ; 
- conceptuellement, par l’application du principe de « services éco-systémiques » tendant à assurer l’acceptabilité d’un modèle productif souverain par des compensations écologiques.


Les échelles institutionnelles : entre incohérence et incompréhensions 

Cette compréhension du territoire comme un ensemble de composantes interdépendantes (la stimulation de l’une, quelque soit la nature de celle-ci, a un impact sur les autres) nous parait primordiale pour en déconstruire le modèle bilatéral d’aménagement. 

Ce glissement n’est néanmoins pas évident, dans la mesure où il semble entrer en contradiction directe avec les juridictions administratives qui régissent et accompagnent l’aménagement du territoire. Comme le soulignent les élus avec lesquels nous avons pu échanger lors de nos visites de terrain, les périmètres définis par les différentes échelons des pouvoirs publics peinent à faire émerger des outils d’intervention cohérents pour les acteurs locaux, voire accentuent les déséquilibres (répartition inégale des financements, isolement renforcé par un développement centralisé plutôt qu’en réseau, etc.) et donc la concurrence. Les modèles de coopération dont les échelles sont imposées par les jauges institutionnelles (démographie) paraissent renforcer l’incompréhension entre les acteurs et ne pas correspondre aux enjeux qu’ils rencontrent quotidiennement ni permettre de capitaliser sur les dynamiques de solidarité déjà existantes (l’intercommunalité, par exemple, est perçue par les petits maires comme une perte de marge d’action). 


Le « local », une échelle incomplète ? 
Les périmètres technocratiques semblent d’autant plus difficilement superposables à la diversité des intrications territoriales que celles-ci dépassent largement l’échelle « locale » au sens qu’on lui donne le plus communément (ancrages motivés par des spécificités géographiques, géologiques, etc.).
D’abord parce que les ventouses extractives décrites précédemment s’inscrivent évidemment dans un système de production mondialisé, ce qui suppose des échanges constants avec « l’ailleurs ». La viticulture, par exemple, repose certes sur un modèle d’élaboration très localisé (le champagne est généralement fabriqué dans un rayon d’une dizaine de kilomètres autour de la zone d’extraction), mais s’appuie aussi sur un réseau d’approvisionnement (matériel agricole, machinerie, fournitures marketing, etc.) plus élargi (France, Europe) et, surtout sur une commercialisation largement basée sur l’international. De la même manière, le modèle agricole tel qu’il existe sur le territoire champenois dépend d’industries de transformation et de circuits de distribution qui éloignent très rapidement la « matière première » de son lieu de culture.

Ensuite, parce que l’extrême mobilité qui caractérise aujourd’hui nos modes de vie et qui fait que nous sommes « de plus en plus nombreux à appartenir à plusieurs espaces, plusieurs sphères »[7], remet en cause une « vision statique » des territoires et tend à démontrer que ceux-ci ne sont plus tant des points d’ancrage exclusifs que des lieux de « butinage »[8] croisé.
Cette structuration dessine des mécanismes d’interdépendance plus larges, avec des territoires qui ne sont pas forcément de « proximité » : ceux-ci ne peuvent évidemment pas être ignorés, au risque de déséquilibres sur le long terme…

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2. Révéler les potentialités dormantes

 

En mettant en place une méthodologie spécifique de collecte et d’analyse avec le répertoire scientifique et la cartographie habitée, nous revendiquons également une approche du territoire par une meilleure connaissance des crises qu’il traverse, mais aussi par la mise en valeur des potentialités dont il témoigne. Comme le souligne l’architecte et urbaniste Frédérique Bonnet, si le « rural et le périurbain sont trop souvent renvoyés à une image obsolète ou médiocre ("France moche") »[9], ces « territoires diffus »[10] regorgent pourtant de « richesses insoupçonnées »[11], qui constituent des bras de levier particulièrement intéressants dans une optique de transformation résiliente. 


De fait, l’exploration de l’« épaisseur spatio-temporelle » des composantes et l’identification des dynamiques qu’elles engendrent par leur interaction a effectivement révélé l’existence de potentiels qui ressurgissent sous forme de signaux plus ou moins intenses. 
Parmi ceux-ci, on peut par exemple citer le patrimoine vernaculaire particulièrement riche de la région (fermes familiales en briques,maisons à colombages, bâtisses en pierre meulière, etc.) dont la valeur architecturale (typologies traditionnelles), sociale (témoignage culturel et historique) et technique (savoir-faire) a été effacée par le traumatisme des destructions massives durant les guerres mondiales
[12]. De la même manière, les nombreux sites archéologiques dûs à la présence d’établissements et d’usages humains (minières et ateliers de transformation du silex, sépultures collectives, etc.) dès le néolithique constituent des témoins puissants et évocateurs dont une exploration approfondie dévoilerait sans doute encore bien des mystères… On pourrait par ailleurs déplorer le manque de valorisation de la valeur nourricière du territoire champenois dont les plaines représentent pourtant l’un des bassins agricoles les plus importants d’Europe. Mais aussi s’interroger sur la faible offre en terme de tourisme malgré la quantité de sites et d’activités qui trouveraient facilement un public (paysages pittoresques, topographie favorable à la mise en place de circuits de randonnée pédestre ou cycliste, oenologie, etc.) ou encore sur la standardisation des procédés constructifs alors que des filières de construction bio-sourcée (bois, brique, pierre) ont toujours existé dans la région… 

La liste des potentiels inexploités en tous genres est longue ; si le souligner risque de dépeindre une vision négative d’un territoire dont la diversité des usages s’appauvrit de plus en plus, elle invite surtout à une démarche de projet mettant en valeur ces « nouvelles richesses »[13] qui émergent paradoxalement par la redécouverte de ce qui « est déjà là ». Cette approche n’est pas celle d’un retour en arrière visant à condamner des siècles de progrès technique par la promotion du « c’était mieux avant » : elle prône plutôt l’enrichissement de nos modes de faire par l’élargissement de notre « capacité d’attention », la valorisation de la « matière grise » et la combinaison des « sagesses ancestrales avec des technologiques innovantes appropriées »[14]. Selon cette conception, le territoire devient alors un « terreau » fécond plutôt que fertile, « capable de donne naissance à » plutôt que réduit à sa capacité de « production en grande quantité de quelque chose qui n’est pas forcément de grande qualité »[15]

 

L’identification et la diffusion de ces « ressources latentes »[16] nous paraît déterminante pour « promouvoir un "imaginaire" plus favorable »[17] à des aménagements ruraux signifiants. Ce travail semble d’autant plus indispensable que l’appréhension de ces « communs » ne relève aujourd’hui plus de savoirs collectifs mais d’une connaissances diffuse, éparpillée et surtout incomplète, dont la transmission s’étiole de génération en génération. Pour Frédérique Bonnet, les études déjà existantes sur les territoires ruraux mériteraient d’un travail de « synthèse et valorisation » diffusé par le biais d’une « collection éditée » ou d’une « plateforme numérique ». Elles gagneraient aussi à être étendues par de « nouveaux appels d’offres de recherche destinées à des équipes pluridisciplinaires, sur des problématiques prospectives adaptées aux enjeux d’aujourd’hui »[18].

Le regroupement de telles données grâce au développement de nouveaux outils laisse entrevoir la possibilité que les acteurs s’en saisissent plus facilement et renouvellent par la même occasion leurs modalités de coopération (convergence d’intérêts, échanges, partages d’expérience, etc.). Car la problématique de sensibilisation aux potentialités inexploitées du territoire (outre les débats éthiques qu’elle est susceptible de soulever[19]), pose aussi la question des modalités de pilotage (bottom-up ou top-down ?) et de l’échelle de coopération sur lesquelles s’appuyer pour les déployer… 
Selon Frédérique Bonnet, une telle approche suppose ainsi « une inversion du paradigme global sur l’évaluation des richesses et des paramètres de développement, une reconquête des initiatives locales et des points de vue exprimés dans toute la diversité des territoires, une réactivation des politiques de solidarités et de partenariats entre les territoires ». Considérer les « influences mutuelles, les apports conjoints des territoires » pour « sortir d’un modèle hiérarchisé »
[20] nous renvoie directement à la question soulevée plus haut des limites de notre schéma actuel de gouvernance et du concept de « local ». 

 

[1] ARÈNES Alexandra, GRÉGOIRE Axelle, AÏT-TOUATI Frédérique, Terra forma - Manuel de cartographies potentielles, éd. B42, 2019, 192p., p.150. 

[2] ARÈNES A., GRÉGOIRE A., AÏT-TOUATI F., op cit.

[3] D’après la définition de l’ethnologue et anthropologue Marc Augé, un « non-lieu » est un espace interchangeable où l’être humain reste anonyme.

[4] MAROT Sébastien, L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, éd. La Villette, 2010, 112p.

[5] ARÈNES A., GRÉGOIRE A., AÏT-TOUATI F., op cit.

[6] HARRAWAY Donna, Manifeste des espèces compagnes, éd. Flammarion 2019, 168 p. 

[7]  Rapport d’information du Sénat n° 565 (2016-2017) « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité ». 
Adresse URL : https://www.senat.fr/rap/r16-565/r16-5652.html (consulté le 09 juin 2020). 

[8] DE ROO Priscilla, « La DATAR, 50 ans au service des territoires », La Documentation française, 2016. 

[9] BONNET Frédérique, « Aménager les territoires ruraux et périurbains », rapport remis à Sylvia PINEL, ministre du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité, le jeudi 7 janvier 2016, p.32. 

[10] MAROT S., op. cit. 

[11] BONNET F., op. cit. 

[12] La Champagne fut l’un des principaux champs de bataille des deux guerres mondiales, dont elle porte encore les stigmates (notamment des bombardements). 

[13] OBRAS-COLLECTIF, AJAP14, Nouvelles richesses, éd. Fourre-tout, 2016, 416 p.  

[14] MAGNAGHI Alberto, La biorégion urbaine : petit traité sur le territoire bien commun, éd. Eterotopia, 2014, 176 p. 

[15] Définitions fournies sur le site du Centre de recherche inter-langues sur la signification en contexte (CRISCO). Consulté le 21 juin 2020. 

[16] D’ARIENZO Roberto, YOUNÈS Chris, LAPENNA Annarita, ROLLAT Mathias, Ressources urbaines latentes : pour un renouveau écologique des villes, éd. Métispresses, 2016, 560 p.

[17] BONNET F., op. cit

[18] Ibid

[19] Comme le souligne les autrices de Terra Forma, révéler certaines « sources vives » potentielles présente également le risque que celles-ci soient accaparées selon les mêmes schémas d’appropriation que nous dénonçons ici… 

[20] BONNET F., op. cit.

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Type de carte 

Frontières 

Clés de lecture

La carte est divisée par quartiers qui représentent les différents lieux de l’échantillon analysé. Ces quartiers sont proportionnés selon la superficie qu’ils occupent par rapport à la superficie totale (échelle de la commune). Deux autres cercles sont placés autour de la cible intérieure. Ils constituent les échelles plus larges : celle de l’intercommunalité et de la région. De ce fait, plus on se dirige vers l’extérieur du cercle, plus on se situe loin de l’échantillon de départ. Il s’agit d’une lecture par imbrications d’échelles.

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